mercredi 25 juillet 2012

Roger Waters à Québec: THE WALL est tombé

21 ans jour pour jour après le concert The Wall à Berlin, en Allemagne;
4 ans, jour pour jour après le concert de Paul McCartney à Québec - on entendait justement la musique des Beatles en entrant sur les Plaines; Roger Waters, auteur, compositeur, musicien, chanteur et scénariste de génie (du latin genialis: relatif à la naissance), était sur les Plaines samedi soir, le 21 juillet 2012, avec cette pièce de théâtre (comme a dit mon amie Diane), ce concert spectaculaire: The Wall !

crédit-photo: La Presse
Diane, que j'ai bien essayé de joindre au téléphone à quelques reprises dès que j'ai eu mon billet en main (acheté à la dernière minute) mais ne recevait pas mes appels, le réseau étant inondé, semble-t-il. 
Peu importe, j'allais assister au concert, et après 1h40 d'attente à faire partie d'un mouvement humain qui avançait d'un demi-pas de souris à la minute sous un soleil tapant, je me suis trouvé un petit espace vert entre deux couples à droite, deux autres à gauche, qui m'ont paru sympathiques et pas trop fêtards. Je n'ai pas fait erreur, ça a été le cas toute la soirée. J'ai eu assez d'espace, en fait, pour m'allonger un moment au besoin, m'étirer, et dessiner un peu, en attendant l'Heure !

24 heures plus tard, j'étais encore sous le choc, et sous le charme. 40 heures plus tard, au moment où j'écris ces lignes (23 juillet, 16h00), je le suis toujours. Sous le charme de Roger (qui a une certaine ressemblance avec Richard Gere - ressemblance confirmée par nos couch surfers du week-end, Momo et Dom, que je salue au passage), de son accent britannique adorable lorsqu'il parle français, de sa voix incomparable, de tous ces musiciens aussi qui jouent avec brio, de l'équipe technique incroyable qui travaille dans l'ombre. Pour The Wall, mince consolation, ils ne sont pas les seuls à être dissimulés aux spectateurs, les musiciens se retrouvant, à un moment, derrière le mur, eux aussi. Ce wall que Roger Waters a choisi d'ériger, inspiré par ce moment difficile vécu lors du désormais fameux concert à Montréal en 1977 . Fear builds walls. La peur érige des murs partout entre les humains, des murs qui s'appellent « education », « religion », qui mènent à la guerre. Le mur, ce sont toutes ces barrières entre les gens, pour ne pas, pour ne plus, communiquer avec l'autre.

« Plein la vue ! », disait Dom, en rentrant au petit matin. « Plein les oreilles ! », ajoutai-je pour un peu, juste un tout petit peu, raconter l'émotion de ce concert mémorable à mon cher mari et notre fils qui nous attendaient, même si l'horloge indiquait déjà 1h30 passée. Momo qui parle japonais, anglais, et comprend assez bien le français, écoutait. Un peu étrange ce moment où l'on rencontre quelqu'un pour la première fois et qu'on a déjà partagé un grand moment à cent mètres l'un de l'autre. Fatigués mais incapables d'aller au lit, nous nous sommes assis à la table de la cuisine pour boire de l'eau fraîche – il a fait tellement chaud à attendre au soleil à l'entrée pendant des heures – et bavarder un peu.

Difficile pour moi de raconter, de parler, quand l'émotion m'habite encore. Je voulais la garder, la vivre pleinement, lentement, entièrement, cette émotion qui m'a étreinte dès les premières notes. Pantin projeté sur la foule, pyrotechnie, son en quadriphonie -  un immense haut-parleur derrière moi, entre autres - l'avion qui se dirige sur le mur, tout de suite je me suis retrouvée avec mon frère, Mario, d'un an mon cadet, celui qui m'a fait connaître les Pink Floyd à la fin des années '70, début '80. J'ai souhaité qu'il soit là, quelque part, sur les Plaines, à profiter lui aussi de ce cadeau, de ce concert qui est passé chez nous, 30 ans plus tard. Je me suis sentie liée à ce frère que je vois peu souvent mais que j'aime comme... un frère. ;-)

Un peu envahie par le passé, je me suis rappelée cette époque où on allait à la polyvalente, ghetto blaster sur l'épaule (des gars) – ou posé par terre à la café' (c'était lourd). Ce temps où on chantait partout « We don't need no education » en guise de mantra pour tenter de résister au moins un peu à notre assimilation par la machine scolaire qui, dévorante, nous vidait peu à peu de notre essence même. De même le « Hey teacher, leave them kids alone » que répétaient en chœur presque frénétiquement sur le trajet de l'étroite sortie des Plaines, les jeunes gens que j'ai côtoyés - de très près - un moment.

journaljose.blogspot.com
mon petit frère et moi (photo : J'OSE la vie !)
Je n'ai pu m'empêcher de penser à mon petit frère aussi. Guy a quitté ce monde il y a 24 ans, un 22 juillet; on venait juste de se marier, Stéphane et moi. Je me suis demandée s'il avait aussi écouté Pink Floyd, s'il avait connu l'album The Wall, (dommage d'avoir été séparés par l'âgisme scolaire, sinon en vivant avec lui, je l'aurais su...), s'il aurait aimé le concert... ou peut-être l'entendait-il ? Je le sentais, là, tout près, ou peut-être encore plus près, avec moi, en moi, dans mon cœur, serré tout autour de son souvenir. Mes yeux s'embrouillent. Il me manque parfois, mais là, ce soir, je le sens tout près.

Et larmes à nouveau lorsque défilent toutes ces photos de personnes tuées par ces luttes et guerres de toutes sortes, ces (t)erreurs de l'état, toutes aussi absurdes les unes que les autres, tellement que nous n'avons même pas de mot pour en dénoncer l'absurdité. Mon frère est mort. D'une balle en plein cœur. Un accident, a-t-on dit. Ce n'était pas un erreur de l'état, mais je suis à jamais liée à tous ceux qui ont perdu une personne aimée aux mains d'une personne armée. Qui a besoin de tuer... qui ? Je ne sais pas si je publierai ce billet, à quoi bon, que je me dis, parler de ces choses si tristes, aussi tristes qu'inutiles, les larmes jaillissent... un souvenir à mettre à sécher, dirait Sandra...


Roger a pris la parole. En français. Et il parle bien français, monsieur Waters. Très bien. Une photo, sur le WALL, Roger raconte l'histoire de Jean-Charles de Menezes :

« Ce gars-là, sur le mur, était un jeune ingénieur du Brésil, qui a visité Londres quelques années avant. (Ça va? C'est good?... cris et applaudissements chaleureux, thank you!) Les flics ont imaginé qu'il était un terroriste, et alors, ils ont tiré 8 fois dans la tête avant même de dire bonjour. Bien sûr, il était complètement innocent. Je voudrais dédier ce concert à lui [De Menezes] et à toutes les autres victimes de la terreur de l'État dans le monde. Peut-être, son histoire nous rappelle que si nous accordons, à l'État et à la police, trop de pouvoir, la descente vers la tyrannie est raide, rapide et glissante.»

L'émotion est partagée.

Après ces mots que personne n'oubliera, le spectacle a pris une tournure un peu différente – enfin pour moi. Des dizaines de chansons dont je ne connaissais souvent que l'image de la pochette de l'album, parfois le titre, mais toujours le rythme. Mario, lui, en connaît sûrement les paroles, pour les avoir écouter, écouter, écouter, sans bruit, les oreilles cachées par les écouteurs, les yeux fermés, plongé qu'il était dans la musique des Pink Floyd, et la poésie unique de Roger Waters. Je le vois encore, là, dans le fauteuil, les jambes allongées, dans ce petit salon à aire ouverte sur la cuisine familiale, dans notre petit appartement au sous-sol de cette petite maison, juste à côté du Jardin Zoologique.

Sur les Plaines, j'étais face au WALL, face à la scène où ces jeunes adolescents venaient de chanter eux aussi qu'ils n'ont pas besoin d'éducation, à tenter de reconnaître Roger - qui faisait figure de lilliputien à une telle distance (vive les écrans géants!). Mon corps suivait le rythme de cette musique qu'il connaissait déjà depuis longtemps, si longtemps. C'était si bon!

À l'entracte, je me suis assise un moment sur l'herbe humide, j'entendais dans mon dos un homme à l'accent hispanophone lire sur son téléphone portable une partie de l'historique des Pink Floyd pour son copain. Qu'est-ce qu'on peut en apprendre des choses maintenant, rapidement, aisément, avec un téléphone et un accès à Internet ! Le lendemain, attablés pour déjeuner au soleil sur la terrasse, je racontais ce que j'avais entendu, et je répétais la même erreur que cet homme à l'accent du sud, et je disais que Barrett prenait trop de LCD... ce qui m'a valu une bonne blague de la part de Guillaume, un autre couch surfer en visite, de la Bretagne celui-là. Bien sûr, tout le monde a compris (comme moi, la veille) qu'on parlait de LSD. :-)

Le concert a repris. 
« Hey you ! »
... une civière passe devant nous: quelqu'un n'est pas bien. 
"Out there in the cold
Getting lonely, getting old
Can you feel me?"
J'ai secrètement souhaité que ce ne soit pas grave, espéré que cette personne puisse entendre le reste du concert de la tente-infirmerie, surtout ne pas manquer cet événement unique. 
« Hey you! »



Un peu plus tard, sur ce mur géant de 728 pieds de long, lorsqu'il y a eu la projection de tous ces extraits vidéos, dont celle de cette fillette, Vera, qui est assaillie par l'émotion lorsqu'elle retrouve son père après la guerre, j'ai pleuré à nouveau, et je sais que bien des épaules se sont soulevées de sanglots retenus partout autour. Combien d'enfants, dans notre culture qui fait éclater les familles, aimeraient retrouver leur père ?








Plusieurs chansons, projections, et scènes plus tard, après la chute du mur, Waters, visiblement, ne voulait pas quitter tout de suite. Ça tombait bien, moi non plus. Prolonger ce moment de grâce, oui: 75000 personnes, toutes liées par une même passion pour la musique et les mots, et un grand désir de bien-être, de paix. Avec ses musiciens, Roger se nourrissait des applaudissements et des cris de la foule en liesse. Il souriait, remerciait, souriait. Il a présenté ses musiciens, chanté avec la foule un moment,
puis, visiblement ému, il a dit que c'était leur 192è spectacle, que c'était le dernier, que c'était bien de finir ça ici, et qu'ils allaient tous se souvenir de cette nuit pour le reste de leur vie. On se disait la même chose, justement. Il a ensuite exprimé à la foule: «Vous êtes ma-gni-fiques!» Puis, il a remercié à nouveau, déclaré que c'était terminé, que c'était le temps de quitter. 


Hey you !
Don't tell me there's no hope at all
Together we stand, divided we fall.
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Je suis restée là, un moment, à respirer l'air encore chaud et humide. Puis, à contre-courant, je me suis avancée vers la scène, pas très près car il y avait une foule dense, mais assez près pour mieux voir le mur. Un technicien est sorti de je ne sais où, puis un autre, ils ont jeté quelques briques. Dans les places VIP, semble-t-il. Je me suis avancée encore un peu, attendant que la foule diminue  au kiosque de souvenirs. J'ai opté pour un poster. À la sortie, derrière les toilettes chimiques, des dizaines d'hommes se sont soulagés le long de la clôture. Une femme la main sur la bouche et le nez. Ça empestait l'urée de bière.

Sur l'herbe du parlement, au pied d'un arbre, face à la fontaine, je me suis assise un instant pour rappeler Stéphane qui venait d'appeler et dont j'avais deviné la voix. J'ai manqué les deux appels de Dom et Momo, tenté de les retourner mais ils venaient d'une boîte téléphonique. J'ai fouillé mon sac pour prendre ma carte d'autobus... pour finalement la retrouver dans ma poche 5 minutes plus tard. Une affiche lumineuse indiquait où prendre les trajets de retour. Je me suis rendue au Complexe G, j'ai fait la file jusqu'au coin de la rue, regardant les gens, essayant de deviner qui étaient nos hôtes, et tout à coup, un peu à l'écart, j'ai cru reconnaître une silhouette de dos, cheveux noués, aux côtés d'une jeune femme au visage asiatique,... c'était bien eux. Quelle surprise ! On s'est trouvés facilement donc. On s'est présentés et, encore sous l'effet, on a partagé nos impressions de ce spectacle musical, théâtral, magistral !

Et la finale !

Une heure plus tard, on reprend au verre d'eau fraîche dans la cuisine. ;-)
Edith, avec le sourire, et remplie d'espoir ! ♥

3 commentaires:

Fleur de Paix a dit…

MERCI Edith pour ce magnifique partage. Comme ça vient me chercher ! J'en perds mes mots... Merci.

L'équipe J'OSE la vie ! a dit…

Bienvenue Fleur ! Ça m'a fait du bien de l'écrire, ça m'habitait tellement! ;-)

«Together we stand !»

Edith

L'équipe J'OSE la vie ! a dit…

En passant, ça vaut vraiment le coup d'écouter Roger parler français. C'est la 2è vidéo. ;-)

Edith

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